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COUPS D’ÉCLAIRS SUR L’ÉTAT
Peu
de sujets ont donné lieu à une littérature aussi copieuse et abstruse comme
celui de l’État. Au cours du dernier siècle et au début de l'actuel, on ne compte
plus les livres, souvent très épais, intitulés Théorie générale de l’État
ou quelque chose de similaire, parfois suivis, un peu à la manière kantienne,
d’une Théorie particulière...
Elles
ne se distinguent les unes des autres que par l’esprit libéral ou réactionnaire
qui les inspire. Il y eut aussi, entre les deux guerres, des théories fascistes
de l’État. Toutes, sans excepter les plus libérales, quoique chacune à sa manière,
faisaient de l’État la représentation naturelle et suprême de la société. Aucune
n’admettait la division sociale en classes riches et pauvres comme fondement
principal et raison d’être de l’État. Ainsi elles ignoraient ou faisaient fi
du fait que le Droit a toujours été le droit du plus fort, quelque chose d’imposé,
et non pas une justice immanente. Michelet, qui l’admettait sans ambages, est
bien plus profond que tous ces théoriciens et philosophes du droit et de l’État.
De
cet énorme amas d’écrits, on ne peut tirer au clair que peu de choses ou rien
du tout. Les auteurs qui réussissent à dire quelque chose d’intéressant, tel
Herman Heller dans sa Théorie de l’État, ont recours à Marx et Engels,
mais en rejettent les conclusions. Quant à L’individu contre l’État, de
Spencer, il s’agit d’un plaidoyer de bourgeois fiers de leur prospérité face
à leur propre État ; il ne dépasse guère l’opposition fiscale de chacun d’entre
eux face à leur représentation collective. Aucun rapport avec l’individu
noyé dans « la société », dont parle Marx. Spencer situe le sien dans
une ligne sociologique qui fait de l’individu l’opposé de la société et à l’inverse,
mutile le premier au nom de la seconde. Une telle orientation, théoriquement
acceptée ou non, est encore présente de nos jours. C’est une pratique quotidienne
de tous les États sans exception, ceux de Droit, les despotiques et les totalitaires
en général. Ils ne se distinguent que par l’intensité de la violence exercée
sur les individus, et par la quantité de sang versé. Car - il faut le dire tout
de suite - colporter que le capitalisme est individualiste constitue un bobard
d’autant plus énorme qu’il est admis à droite et à gauche.
Le
capitalisme fabrique les hommes et leur psychologie en série, comme des pièces
de rechange. Un haut fonctionnaire, qu’il soit politique, administratif ou syndical,
et un autre haut fonctionnaire, un bourgeois et un autre bourgeois, un savant
et un autre savant, un ouvrier et un autre ouvrier, un policier et un autre
policier, un escroc et un autre escroc, ont entre eux des psychologies similaires,
desindividualisées, corporatives. Personne, pas même les plus favorisés par
leur savoir et par un genre d’activité adaptée à leurs souhaits, n’a et ne peut
avoir une individualité pleine. L’individualisme est un fruit à venir et il
nécessite au préalable le communisme dans le domaine matériel. Il n’y a pas
là un paradoxe, sauf pour ceux qui refusent de voir que l’épanouissement de
l’esprit chez chacun, réclame l’entière satisfaction matérielle pour tous.
On
ne peut découvrir que deux manières de considérer l’État en général et
chacune de ses phases dans le temps et l’espace actuel. Soit comme une utilité
sociale perpétuelle et dont on ne peut pas se passer, quels que soient ses avatars
et ses métamorphoses, soit comme un organisme non social, mais d’oppression
sociale, et toute autre fonction qu’il puisse accomplir porte la souillure de
sa fonction principale, car elle lui est étrangère.
Tout
d’abord, il est impératif d’affirmer, quoi qu’en disent des sociologues, des
politologues et les philosophes, nouveaux ou pas, que la dite première conception
est réfutée depuis le siècle dernier et l’est toujours dans ses variations modernes.
On ne se réfère pas seulement à la réfutation des théoriciens du mouvement
révolutionnaire, mais aussi à celle de mille et un lutteurs ouvriers par leur
action-même, et avant tout à la réfutation apportée depuis lors par les évènements
historiques. Par suite, on parlera ici de la seconde conception, tout en faisant
les allusions pertinentes à l’autre.
Aujourd’hui
on passe souvent outre au problème des origines de l’État, comme s’il s’agissait
d’un problème inextricable ou faux, d’une énigme sans clé ou de quelque chose
sans importance pour en entreprendre l’étude. Par ailleurs, plus d’un érudit
pense que l’État commence à l’âge moderne, plus ou moins lorsque Machiavel forgea
la désignation qui est devenue universelle. D’après ça, les pouvoirs dominants
de l’antiquité, Sumer, Babylone, l’Egypte, la Chine, la Crète, la Grèce, Rome,
ect., ou ceux du Mexique ou du Pérou, n’ont pas la qualité d’État. On pourrait
dire alors avec autant d’à propos, que l’esclavage commence dès lors que les
esclaves réduits en masse à l’esclavage l’ont marqué du nom de leur race. Par
ce biais aux évocations hégéliennes, l’apparition de l’État à l’aube du capitalisme
introduirait un ordonnancement social supérieur, une relation égale entre les
différents secteurs d’intérêts dans chaque nation, qui représente un point d’arrivée
dans l’évolution humaine. En réalité, on y aperçoit en filigrane les idées allant
du Contrat Social jusqu’au consensus des sociologues, politiques et politicailleurs
modernes. En voilà assez sur le problème pour l’instant.
D’après
nous, taxer de faux problème celui de l’apparition de l’État, ou simplement
l’écarter revient à nier intentionnellement ou involontairement, la possibilité
de sa disparition. Personne certes, ne pourra démontrer, faits probants à l’appui,
où et quand est surgi le premier semblant d’État. Tout de même, le développement
si inégal de l’humanité sur les cinq continents nous offre en abondance des
faits non seulement pour imaginer cette origine, le comment de sa formation,
mais pour en avoir la certitude aussi. Un ouvrage bien volumineux serait nécessaire
seulement pour consigner les cas des États dont l’apparition est observable
depuis l’époque des grandes découvertes géographiques, jusque et y compris,
la très récente « décolonisation ». Tout d’abord, les minutieuses
descriptions de presque tous les peuples primitifs (note1)
par les ethnologues et anthropologues, offre un matériel précieux et convaincant,
ou même probant.
De
l’Alaska à la Patagonie, de l’Atlas au Cap, des Dardanelles au Kamtchatka et
au Japon, de même dans l’immense Océanie, chez tous les peuples primitifs, à
de rares exceptions près, règne la règle de conduite des Dinks africains : « Le
droit de prendre correspond à celui qui prône la force nécessaire pour le faire ;
le droit de garder à celui qui en est capable (note2) ».
La conduite des États les mieux institutionnalisés est encore identique. Le
fameux « Tu ne tueras point, tu ne voleras point » que Moïse découvre
bien tard, n’a jamais fait référence qu’à ceux du même groupe, tribu, nation,
ou... bloc militaire. Les autres étaient, tout simplement, des ennemis. Il n’y
a rien d’étonnant à ce que le nom que s’adjugent tant de groupes primitifs signifie
homme, par opposition à ceux qui leurs sont extérieurs, tenus pour
féroces, hommes méchants dans le meilleur des cas, souvent diables,
mot qui probablement, tout au début, ne signifia qu’étranger, par opposition
à nous, nôtre. La dite règle morale renferme l’histoire
entière de l’humanité depuis l’apparition de l’État, et de son abolition dépend
l’avenir sans État.
La
lecture des livres d’ethnologie devient ennuyeuse à force de présenter le même
tableau avec des variantes secondaires. Il s’agit des populations sans État,
ou même de communisme rudimentaire, sédentaire et agricole, ou nomade et en
horde. Elles ont un chef de guerre, flanqué ou non d’un sorcier ou d’un conseil
d’anciens. Elles ignorent le gouvernement proprement dit, mais le chef de guerre
gagne en importance et autorité avec des actions d’attaque ou de défense, avec
souvent un butin de guerre aussi, lorsqu’une attaque a été fructueuse. Le ou
les groupes ou peuplades ne vivent pas trop isolés, les hostilités sont presque
permanentes, même entre groupes dégagés du même tronc ancestral. Bien qu’il
ne s’agisse pas de guerre dans le plein sens du terme, les raids ou assauts
pour s’emparer de biens sont meurtriers, et parfois ruineux pour les vaincus,
comparativement à leur population et leur avoir. L’hostilité, la haine envers
les populations et les hommes étrangers, comportait comme corollaire la liberté
et même le devoir de saccage, de les tuer, de les manger ou de les réduire en
esclavage. Une population ou tribu prospère le devait à sa bonne chance dans
les raids de saccage, et il s’ensuivait l’aptitude à se reproduire en plus grand
nombre, ce qui représentait une capacité d’attaque accrue. A long terme, il
ne pouvait subsister que les groupes dont le bilan entre les pertes dans les
assauts subits et les gains dans les raids lancés, était positifs, ou tout au
moins pas trop ruineux. Nous sommes encore là avec les balances du commerce
extérieur, car le commerce mondial est la dernière réminiscence de l’inimitié
primitive de chaque groupe humain face aux autres, ce qui n’exclue pas
l’autre forme : la guerre. Que les groupes aient eu une production à
eux, par la chasse et la cueillette, ou par la culture, ne diminue pas mais
au contraire, renforce la validité du fait.
Le
butin amassé chez d’autres groupes pouvait être distribué en portions égales
ou bien selon les besoins de chacun des guerriers victorieux, ou encore gardé
dans des magasins communs, pour une consommation ultérieure. L’équité entre
les personnes du groupe, y compris le chef guerrier, le sorcier et les anciens,
pouvait être parfaite. L’important, c’est que le groupe comme un tout vivait
et se reproduisait, en partie au moins, aux dépens d’autres groupes. Dans la
même foulée, l’importance du chef de guerre et ses acolytes, les guerriers,
grandissait et devenait substantielle, à proportion de l’ampleur des acquis
matériels dans les raids contre les groupes étrangers ou du succès dans la défense
de leur propre groupe. Des centaines de cas sont connus où le chef de guerre,
le sorcier, les tenants de la tradition et des légendes tribales, s’adjugent
la part du lion dans le butin, ou bien ils en sont devenus les administrateurs.
Tout au début, le pouvoir du chef cessait en même temps que la guerre, mais
il révèla un net penchant à se transformer en pouvoir aux temps de paix, et
même en dictature. Des rescapés des groupes vaincus se réfugiaient dans les
montagnes, les zones arides ou des forêts impénétrables. Alors leur niveau de
vie, leurs connaissances et leur marge de reproduction se rétrécissaient. Cela
a été vérifié dans de nombreux endroits du globe depuis le XVIème siècle. Les
indiens Guayaqui, du Paraguay, étudiés par Pierre Clastres sont un cas des plus
frappant et tragique. Anciens agriculteurs d’après certains indices, ils sont
retournés à la chasse, la cueillette et au cannibalisme, y compris le nécrophage.
Ils sont en voie d’extinction et ceux qui restent sont exterminés par les colons
blancs. L’hostilité entre les divers groupes humains, attaque aussi bien que
défense, représente à elle seule un germe de différenciation catégorielle au
sein-même de chaque groupe, perceptible à proportion du volume démographique,
dépendant à son tour de la capacité d’attaque et de défense.
Seuls
des groupes suffisamment éloignés des autres pour ne pas éprouver leurs assauts,
pouvaient se soustraire à cet impératif là de l’ « étrangéité »
multiréciproque. Mais il fallait en outre que leur capacité de subsistance et
reproduction ait été suffisante pour se passer du saccage à leur tour. Tout
de même, eux aussi se voyaient attaqués tôt ou tard, et le même processus de
différenciation intérieur était entamé. Ces faits ne sont pas aujourd’hui sujets
au moindre doute. Et la conclusion qui en découle en est d’une évidence plus
que logique, observable en maintes occasions et divers lieux depuis quatre siècles.
Certes
partout où un groupe humain a trouvé une expansion numérique et une force militaire
d’une certaine importance, il a assujetti d’autres groupes, tantôt les réduisant
en esclavage, tantôt les rançonnant par un tribut, ou bien s’imposant à eux
en tant que caste ou classe dominante. Le chef des envahisseurs devenait le
centre d’un corps social hiérarchisé, et les gens de son ethnie s’installaient
en qualité d’aristocratie. On ne fait là que transcrire presque textuellement
ce qui a été étudié par bon nombre d’ethnologues et anthropologues et se trouve
confirmé à cette époque historique, et à un niveau supérieur, par des centaines
d’invasions qui ont fait de l’envahisseur la classe sociale riche et gouvernante.
Bien longtemps avant d’être un État de Droit, même rudimentaire, l’État existe
de fait, par imposition militaire.
Malgré
les interprétations psychologiques inspirées de L’avenir d’une illusion (Freud),
État et religion, la croyance en Dieu comprise, apparaissent comme des faits
coercitifs, nullement acceptés de bon gré, bien avant que soit élaborée leur
représentation consciente en tant qu’idée, ou même leurs règles coercitives
propres. C’est une piètre conception, celle qui conclue à une nécessité humaine
de protection par le Père Eternel, au lieu d’y déceler un assujettissement
par la force, auquel on n’a pas pu se soustraire, et auquel on s’est résigné,
dans une extension temporelle, géographique et démographique.
Non
moins mal fondée, l’idée de voir dans le jeux, le germe qui fait pousser
l’Éternel, ce que fait Huizinga dans son Homo ludens (el juego y la
cultura.). Les cas de simulacre de bataille connus représentent
une confirmation d’alliance entre anciens ennemis, ou bien la subordination
du vaincu à la suite de batailles antérieures, et non pas fictives, tels les
enlèvements simulés de femmes bien connus. C’est une équivoque sinistre que
de confondre le « jeu » de la lutte à mort avec le jeu comme activité
spontanée, d’apprentissage et création de valeurs culturelles. Huizinga, par
contre, n’envisage pas le jeu de l’esprit intérieur à tout un chacun, et le
plus important de tous. D’après une ancienne tradition, Zeus jouait aux dés,
ses partenaires étaient des fainéants de son acabit. Il avait fallu la révolte
de Prométhée pour que quelque chose revienne en partage au commun des hommes.
A
Sumer, les Patesi, ou chefs gouvernants, sont des conquérants, des chefs de
guerre qui légifèrent, peut-être pour la première fois dans l’histoire, sur
la condition d’exploitation et de domination de leurs voisins vaincus. Voilà
le Droit qui entre en scène (voir Jacques Pirenne : La civilisation summérienne).
En Égypte, l’époque pharaonique marque une rupture nette par rapport à l’époque
antérieure. Rien ne confirme la supposition d’un développement autonome, évolutif
depuis l’époque Naga, antérieure au quatrième millénaire, à l’époque pharaonique
(l’Egypte avant les pyramides. Editions des musées nationaux français,
1973). En Chine, l’organisme coercitif apparaît comme contrecoup de la lutte
pour l’hégémonie entre des clans d’une même origine, prolongée par les hostilités
entre des coalitions de tribus. Au Bhoutan, les monastères-forteresses étaient
aussi, il n’y a pas longtemps, des greniers et des centres de gouvernement.
En Inde, la pénétration aryenne s’est imposée aux pouvoirs existants,
plus ou moins organisés, et les a poussés vers la division en castes, qui accablent
encore le pays malgré leur récente abolition formelle. Quiconque sait que dans
le Nouveau Monde, Incas et Aztèques étaient des castes militaires d’envahisseurs.
S’agissant des tant vantés Mayas, l’un des spécialistes les plus réputé,
Thomson, pense qu’ils arrivèrent au pays en qualité de conquérants; ils
ont soumis la population indigène (à supposer qu’elle ait été elle-même indigène).
La formation des cités grecques, après les invasions successives d’Achéens,
Hellènes et Doriens, a eu lieu au seuil-même de l’époque historique.
Enfin,
s’agissant de Rome, personne, pas même Mommsen, n’a parlé jusqu’à présent plus
nettement que Montesquieu dans ses Considérations sur les causes de la grandeur
et de la décadence des Romains : « Peuplade sans commerce et sans arts,
le seul moyen de s’enrichir était le pillage. Une fois établie la discipline
dans la manière de piller les particuliers, Rome imposa aux vaincus l’obligation
de fournir à ses guerriers une paie, des céréales et de l’équipement ».
Par
ailleurs, la lecture de documents archivés permet à ceux qui le désirent, de
s’informer sur le mode de constitution de l’État en Amérique au lendemain de
la conquête : une troupe de guerriers espagnols, jamais très nombreuse, s’assemblait,
proclamait la municipalité au nom de la Couronne, d’après les règles en vigueur
en Espagne, rédigeait un procès-verbal et nommait les membres du consistoire,
c’est à dire les conseillers municipaux. La même procédure était appliquée,
qu’il s’agisse de lieux ayant appartenu à un État indigène ou d’une nouvelle
fondation dans un lieu inhabité. C’était un État des Espagnols et pour l’exploitation
espagnole des vaincus, auquel accédèrent, seulement après, certaines catégories
supérieures d’indiens, c’est à dire des conquérants antérieurs. Il n’y a là
rien de différent de ce qui est survenu quelques six mille ans auparavant en
Mésopotamie, en Égypte ou en Asie, excepté le système économique et politique
imposé. Si le soleil ne se couchait jamais sur les domaines espagnols, les despotes
et rois d’une époque si lointaine s’autoproclamaient « seigneurs des quatre
points cardinaux ». Beaucoup plus réel, toujours dans le même sens, et
dernier épisode de cet avatar humain, il y a le « leadership » mondial
des États-Unis. Lui aussi a émergé de deux guerres, les plus meurtrières de
l’histoire de l’homme de Cro-Magnon... sans autre rival - susceptible d’être
considéré comme tel - que la zone russe du monde, puissance surgie de la somme
d’une contre-révolution et de la dernière guerre impérialiste.
Que
la première forme organisée stable de l’État provienne de la guerre, ou plus
concrètement, de la réglementation durable du domaine du groupe vaincu par leurs
vainqueurs, cela a été dit auparavant. C’est introduit dans L’idéologie allemande
et aussi dans L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État.
C’est devenu une vérité reconnue par de nombreux anthropologues, sociologues
et même ethnologues. On peut trouver là-dessus maintes citations dans La
guerre dans les sociétés primitives, son rôle, son évolution de Maurice
R. Davie (Payot 1931).
Toutefois,
on doit aller plus en arrière dans le temps et dans les conditions de vie des
hommes génératrices de l’État. Vu le panorama universel de combat et de saccage,
de toute ethnie ou groupe de population face à tout autre, ce qu’on appelle
étrangéité multiréciproque (inimitié, antagonisme), la conviction s’impose qu’un
tel pillage, non seulement préfigure l’État, mais qu’il comporte, dès lors,
l’essentiel de sa matérialité : Écrasement physique des faibles par les
forts, assujettissement social, exploitation.
Une
tribu ou une fédération de tribus pouvait ignorer en son sein l’exploitation
pendant un temps quelconque, voire vivre en vraie communauté, sans État donc
; mais par rapport aux tribus ennemies, le pillage avait une fonction coercitive,
exploitatrice et para-étatique. L’inversion des rôles ne changeait rien à la
signification de ce fait. Pour que l’État devienne un fait permanent et légal,
stratifié en classes de haut en bas, il n’a fallu que la cohabitation des vainqueurs
et des vaincus sur le même territoire. Ce qui avant, était occasionnel, butin
hasardeux de razzia ou de guerre formelle, devenait alors flux continu bien
plus abondant, Droit légal des vainqueurs à s’approprier les biens des vaincus
et exploiter le produit de leur travail. Le développement de la capacité de
production, c’est à dire, de la consommation, pour une minorité, eut
son point de départ dans le saccage et s’implanta par l’utilisation ininterrompue
des vaincus comme instruments de production additionnels. A partir de ce fait,
l’histoire humaine relative à l’État jusqu’aujourd’hui, et aussi longtemps que
l’État subsistera, apparaît sans difficulté. Ce fait est également chargé de
signification dans la perspective de disparition de ce même État.
Dans
La société contre l’État, Pierre Clastres a cru voir un dessein intuitif,
sinon une volonté délibérée, d’empêcher le surgissement de l’État chez quelques
tribus sud-américaines, les Tupi-Guaranis surtout. Il transpose l’affirmation
gratuite de Bakounine relative aux peuples slaves, qu’il considérait exempts
de tout penchant dominateur, c’est à dire étatique, tout au contraire des peuples
germaniques. Il n’est pas possible de réfuter ici la Philosophie de la chefferie
indienne (note3),
fondement du raisonnement de Clastres, si fragile qu’il offre contre lui-même
une abondante matière. Aucun des groupes de population qu’il a étudiés n’échappe
aux caractéristiques ici définies, à cette inimitié multiréciproque qui a fait
d’eux, partout et toujours, tôt ou tard, des saccageurs ou des saccagés, des
dominateurs ou des dominés possibles, selon les contingences. La société contre
l’État ? Certes, mais c’est une affaire révolutionnaire d’aujourd’hui, impossible
dans le passé, parce que c’est seulement dans la société actuelle que le poids
des facteurs d’unité humaine mondiale dépasse - et largement - celui des facteurs
ancestraux de division, d’hostilité et de vol, dont l’hérédité se trouve matérialisée
dans l’État, et qui se déverse en océans de sang lors des guerres inter-nations.
On
connaît à l’État des aspects et des métamorphoses innombrables. Dans une même
catégorie, il varie à l’infini, pourrait-on dire, sans que disparaisse le dénominateur
commun d’origine : gendarme et législateur de privilèges matériels, politique
et culturels, imposés par la force brute. Qu’à l’origine, il y ait eu une force
défensive ou offensive, ne change rien à l’affaire et importe le moins du monde
pour ce dont il s’agit ici. La force brute est comme voilée dans le système
actuel, par le fait même de son opérativité économique, qui force les uns à
la création d’une plus-value énorme, afin que d’autres en profitent et l’administrent
à leur gré. La force brute s’y trouve établie en tant que forme organique de
la société. Ceux qui nient ce rôle de l’État en général, ou tant soit peu de
l’État démocratique et de Droit, sont des pessimistes ténébreux, même si ce
n’est pas l’intérêt qui se sert de leur bouche. Ils présentent comme une fatalité
ou comme une Loi de la Nature, l’exploitation et les classes, et tout ce qu’elles
charrient de néfaste et dégradant pour l’individu et la société.
A
notre époque précisément, la métamorphose de l’État est en train de porter au
paroxysme ces conséquences-là. Le résumé de toutes les métamorphoses et modifications
de classes antérieures ne sera pas fait dans cet article. Dans sa relation essentielle
avec la société, l’État représente un buttoir, une barrière sans au-delà, l’accomplissement
exhaustif d’un cycle humain de six ou dix mille ans d’histoire. Parmi les primitifs,
un chef prestigieux était celui qui avait organisé des raids fructueux, tué,
fait mangé ou fait prisonnier le plus grand nombre d’hommes d’autres groupes.
Sa parole ou celle d’un congénère devenait l’exemple, la vérité légendaire incontestable,
dont la contestation n’était possible que par imposition de la vérité
d’un autre groupe. Une fois atteinte une certaine prospérité, la mort du chef
donnait souvent lieu à l’assassinat rituel de ses proches et servants, qui l’accompagnaient
dans la tombe. Les potentats du XXème siècle, capitalistes privés ou hauts bureaucrates,
sont enterrés individuellement, mais avant leur mort, ils ont sucé la santé
et la vie même sur l’arène mondiale, sous forme de plus-value, et donné la mort
dans les guerres, à des millions et des millions de personnes. Et s’ils ne mangent
plus de chair humaine, ils la dévorent sous forme de travail salarié, ils vomissent
des investissements, tout comme leurs semblables romains vomissaient des mets
après leurs banquets, et ils recommencent à dévorer du muscle et de la moelle
sous l’aspect de bénéfices, de croissance industrielle et de Pouvoir. Les formes
et les proportions quantitatives ont beaucoup changé, pas le contenu. Sous cet
aspect, il est en train de se « perfectionner », mais il devient impossible
d’imaginer une forme d’État plus oppressive encore. Une chose parait certaine
tout de même : si on le laisse aboutir à la « perfection », l’humanité
ne redressera pas la tête pendant de longs siècles.
En
sa qualité d’organisme capitaliste, l’État apparaît à l’époque médiévale, avec
les coutumes et formes de Droit de villes mercantiles soustraites au droit féodal.
Leur multiplication, leur affermissement, leur unité et leur alliance avec la
monarchie alla de pair avec l’augmentation et la dominance de la richesse meuble
et monétaire, face à la richesse foncière, cela est bien connu. Moins remarqué
est le fait singulier de la présence dans un même territoire et pendant longtemps,
de deux systèmes de classes et de deux Droits : celui des féodaux et celui des
bourgeois. Bien qu’au début il y ait eu des empoignades et même des affrontements
militaires entre les villes et les féodaux qui prétendaient les vassaliser,
les bourgeois citadins apprirent rapidement à acheter de la main à la main leur
tolérance ; procédé que la monarchie absolue mettrait largement à profit grâce
à l’impôt dont étaient exempts la noblesse et le clergé, ainsi que par les rentes
et dons gracieusement accordés aux nobles. Bien avant de se révolter contre
une telle situation, la richesse de la classe nouvelle était nettement supérieure
à celle de la vieille et corrompue noblesse. L’élimination de celle-ci en France,
radicale parce que révolutionnaire, constitue un exemple unique dans l’histoire
de l’ascension du capitalisme. Dans tous les autres pays d’Europe, les révolutions
ou tentatives de révolution bourgeoise ont surtout servi à ce que la noblesse
et l’Eglise abandonnent leurs méthodes d’exploitation médiévales et s’intègrent
à celles du capitalisme, bien plus rentables. Cette circonstance fit du Code
Napoléon, par excellence, la loi de la propriété bourgeoise et le fondement
de son État.
Cas
particulier, la généralisation du capitalisme en Russie n’échappe à la règle
ci-dessus que pour y retomber dans des circonstances aggravantes et très importantes.
Son capitalisme est une variante de l’ancien, en correspondance avec sa nature
réactionnaire caractéristique, tout aussi bien qu’avec la nature décadente du
système à l’échelle mondiale. La généralisation du capitalisme adopte là la
forme étatique, la seule que lui consentait la révolution de 1917, à moins d’une
restauration militaire extérieure ou intérieure. De plus, elle était la plus
adaptée au degré de concentration atteint par le capital international. Ainsi
donc, elle s’est introduite en qualité de réaction à l’appel communiste d’Octobre
17. Après celui-ci, les résidus de noblesse et de bourgeoisie ré émergent sous
l’aspect de fonctionnaires et de collaborateurs des fonctionnaires par alliances
familiales. Base structurelle et superstructure politique s’y trouvent fondues
et confondues.
La
succession bien connue des systèmes en Europe : esclavage, féodalisme, capitalisme,
montre une relation entre l’homme et la nature, marquée par l’exploitation de
l’homme par l’homme. Par conséquent, il s’agit d’une relation indirecte et par-là
même, fausse. Peu importe que l’implantation des deux premiers systèmes ait
été partielle géographiquement, ni pour l’instant, que le mode de rapport social
ou d’exploitation soit différent dans les trois cas. Ce qui apparaît plus important,
c’est la tendance unificatrice - universaliste dirait un philosophe de l’histoire
- des civilisations gréco-romaine et capitaliste, le féodalisme se présentant
comme un particularisme de lieux-dits et de fiers-à-bras seigneuriaux, un retour
en arrière et une période de magma socioculturel, où le troisième système irait
en cristallisant. On peut dire que le monde gréco-romain, acheminé, au tournant
d’un siècle donné, vers une impasse historique, se serait désagrégé dans la
féodalité, laquelle aurait permis, avec la marche du temps, la composition moléculaire
d’une nouvelle société. Il n’y a là rien de téléologique, bien au contraire,
car les types sociaux, à l’instar des espèces du monde organique, peuvent évoluer
ou muter dans un sens peu ou pas du tout viable. Le féodalisme germa dans le
monde gréco-romain. Les invasions barbares lui donnèrent son aspect final, non
sans avoir tenté, en vain, de gouverner l’Empire. La violence et l’oppression
caractéristiques de l’État, essaimées dans des milliers de foyers, intensifia
son arbitraire au lieu de l’affaiblir. Et la relation avec la nature devint
encore plus mesquine et fausse.
Il
a été dit et démontré surabondamment que le système capitaliste se caractérise
par la propriété privée des instruments de production les plus importants, ce
qui engendre la marchandise-homme par le truchement du travail salarié, et sur
cette base, la production générale des biens - et des mentalités - en tant que
marchandises. L’État qui lui est afférant, tout en n’étant pas un organe direct
et servile des capitalistes, exerce la surveillance sur la bonne marche de l’ensemble.
Il est aussi propriété privée, de par le fait ostensible, quoique non légiféré,
que les bourgeois et leurs servants seuls ont pu accéder aux postes dirigeants,
aussi bien sous le couvert du suffrage universel et d’une Constitution que sans
eux. De toute façon, l’esclavage du travail salarié, introduit et généralisé
par le capitalisme, d’abord en Europe, puis partout après, est moins inhumain
que les formes antérieures d’esclavage. Et ce qui importe le plus, il ouvre
des horizons jadis insoupçonnés. Corrélativement, l’État capitaliste consent
des libertés mesquines et trompeuses en elles-mêmes, tout comme son système,
mais qu’aucun autre type social antérieur n’atteint, même pas Athènes pour les
habitants libres. Pour la première fois, se présente la possibilité d’établir
une relation directe, véridique, entre l’homme et la nature. Un livre de Laffon-Monteil
(Payot 1938), intitulé D’Hammourabi à Rockefeller, permet d’observer
une tendance, toujours sans lendemain, vers l’apparition du capitalisme, depuis
les temps babyloniens. Cette fois, nous y sommes plongés, il nous étouffe. A
ce sujet, on peut consulter également l’importante oeuvre de Rostovzef sur l’histoire
économique et sociale du monde gréco-romain.
Rien
ne vérifie aussi exactement le rapport étroit entre la base économique d’un
système et son dispositif étatique, que l’évolution du capitalisme. Etant donné
la dualité sociale qui est à sa source (capital-salariat), la société où nous
vivons ne pouvait se développer que par l’augmentation du capital, d’un côté,
et des hommes salariés de l’autre. Et ainsi, jusqu’à la concentration du capital
en grandes compagnies monopolistes. A la même allure, l’État a centralisé ses
fonctions, mettant la main sur l’économie et augmentant, ouvertement ou subrepticement,
la répression politique orientée contre les révolutionnaires. C’est aussi le
moment où le capitalisme a envahi toute la surface de la Terre, en introduisant
la vente et la production de marchandises, ainsi que les États et les régimes
politiques ad hoc. Les différences de niveau n’ont pas plus d’importance
que celles existant à l’intérieur d’un pays industrialisé quelconque.
Il
s’agit de truismes rappelés simplement pour la cohérence de l’ensemble. L’important,
ce qui est nouveau pour la conception de l’État avec son système fondamental,
commence dès-lors que ce stade-là reste en arrière. La fin de celui-ci et le
commencement du stade actuel n’ont pas une démarcation temporelle précise, mais
elle est devenue absolument évidente une fois que nous y sommes bien entrés,
après la seconde guerre mondiale. La croissance du capital et de la production
par le truchement du travail salarié, adopte à partir de là des caractéristiques
négatives qui faisaient défaut aux stades antérieurs. Le capitalisme mute son
ancien caractère progressif en régressif, y compris dans les zones du monde
où son installation est encore rudimentaire. En effet, si l’on ne veut pas vider
de contenu la notion de progrès, ou de développement d’un type de civilisation,
il est impératif de déterminer le maximum qu’il est susceptible d’offrir aux
hommes. Le critère doit être objectif, intrinsèque au système lui-même, pas
à ses accidents, ni à une quelconque estimation subjective, même si le subjectif,
lorsqu’il atteint un domaine presque général, constitue l’ultime détermination,
au mieux,... et au pire aussi.
Mais
il est indispensable de préciser, tout d’abord, ce qu’on doit comprendre comme
développement d’une civilisation. Non par son extension territoriale,
ni sa croissance économique en elles-mêmes, mais une extension et une croissance
qui améliorent la situation matérielle, culturelle et politique de la population
en général, de ses couches pauvres en particulier. Autrement dit, qui atténue
les traits négatifs du système tout en favorisant involontairement son propre
dépassement. Il doit s’agir d’un développement social dans tous les aspects
contenus dans la société, avec comme référence l’homme, seule mesure possible.
Or l’extrême limite de développement a été atteinte dés lors que les facteurs
caractéristiques de son devenir (économique, politique, culturel, volitif) permettent
le saut à un type supérieur, le passage de l’évolution à la révolution. C’est
en ce sens que Karl Marx parlait du capitalisme comme d’un système provisoire,
de transition à une société communiste.
Que
ce maximum ait été atteint depuis longtemps, ne peut être mis en question, sauf
par ceux qui font de la croissance industrielle et du savoir scientifique le
critère principal, voire unique, du développement capitaliste. Les connaissances
techniques et scientifiques, leurs applications réalisées - sans parler de celles
possibles - suffisent aujourd’hui pour supprimer mondialement, en peu d’années,
les différences économiques, réduire à moins de la moitié le temps de travail,
tout en portant le niveau culturel moyen au-delà du meilleur actuellement. A
l’inverse, technique et science sont utilisées à contre‑sens, pour perpétuer
les inégalités existant dans tous les domaines, empirer à dessein la qualité
des produits, les produits de mort exceptés, pour prostituer la culture et les
consciences individuelles (télévision, radio, presse, enseignement orienté ou
coercitif, fichage informatique de la population). Ainsi donc, le développement
social apporté par le capitalisme vire dans le sens opposé. La croissance industrielle
a des répercussions négatives dans la vie quotidienne par ses caractéristiques
actuelles, bien au-delà de la pollution et autres nuisances. Elle tient l’homme
chaque fois plus serré à la gorge, et par conséquent, il s’agit d’une croissance
réactionnaire. Par-dessus le marché, le dispositif belliciste franchit toutes
les bornes imaginables quant à la négativité, même en faisant abstraction des
armes atomiques. Le taxer de réactionnaire semble peu de chose, une vacuité.
En effet, comment qualifier une utilisation de la science qui permet à la haute
hiérarchie du système de désintégrer tout organisme vivant, du protozoaire à
l’homme, par la simple pression d’un bouton, aussi facilement qu’on écrase une
fourmi ? Criminel, assassin, humanicide semblent des termes doux, insignifiants.
Cependant, le dernier des termes suggère une association très éloquente. La
décadence des civilisations qui se sont avérées incapables d’en engendrer une
autre supérieure à elles-mêmes, après l’aboutissement de leur parcours de développement,
les vouait à une décomposition graduelle, mais cela n’empêchait pas, à terme,
des poussées civilisatrices dans d’autres zones. Seul le savoir sous la coupe
du capitalisme, de son État, mène, non plus à la décomposition décadente
de la civilisation inaugurée depuis des décennies, mais à l’extermination de
la vie... à moins que la révolution communiste n’y coupe court. En tout cas,
il suffit que cette menace soit suspendue sur nos têtes - chose indéniable -
pour conclure : la civilisation capitaliste a largement dépassé sa marge
de développement ; la mettre à mort révolutionnairement constitue la seule issue
physique et culturelle possible pour la société mondiale et pour chacun des
individus la composant. Ce sera une démarche civilisatrice par excellence. L’essentiel
du système, c’est ce qui est entré en putréfaction, la production fondée sur
le capital et le salariat. Mais l’épicentre de la putréfaction du système, c’est
l’État.
A
l’étape que nous vivons, l’Occident tout comme l’Orient, il est devenu beaucoup
plus pertinent de parler de l’État capitaliste et son système, que du système
capitaliste et son État. C’est un fait que l’État gouverne et domine la société
à discrétion. Pour le moment, il ne se heurte à aucun autre obstacle que celui,
figuré mais non évanoui, d’un futur mouvement de révolte prolétarienne. Les
tractations entre les différents secteurs intégrés dans le système, partis « ouvriers »
et syndicats compris, loin d’être un tant soit peu un contrepoids au despotisme
étatique, lui font escorte par leur fausse opposition, tandis qu’ils assoupissent
le prolétariat. En outre ils se considèrent eux-mêmes les héritiers des monopoles,
et de la police, ce qui inspire leurs agissements. L’autonomie relative qui
caractérisait autrefois les capitaux privés, face à l’État, et de celui-ci face
aux capitaux privés, s’est effacée depuis la dernière guerre. L’État est
devenu le maître de cérémonie incontestable dans tous les domaines de la -
de sa - société, projection économique, politique, législative, judiciaire,
informative, désinformative, aussi bien que dans le domaine militaire. Le Léviathan
vanté et craint tout à la fois, n’est pas pour demain ; il met en œuvre ses
fonctions destructrices et cannibales sous nos yeux quotidiennement. Par ce
biais, l’État actuel condense en lui toutes les turpitudes de l’histoire humaine :
l’étrangéité multiréciproque, le saccage entre hordes, tribus, clans,
l’anthropophagie alimentaire et rituelle, les despotismes asiatiques, africains,
pré-colombiens du Nouveau Monde, l’esclavage des anciennes civilisations,
le servage féodal, ou comme corollaire les formes économiques et répressives
du capitalisme naissant et florissant aussi.
Je
ne signale pas ici une nation quelconque, mais toutes sans exception, sans tenir
compte de l’acquis économique, technique, policier, etc. Les nouveaux pays « indépendants »
reproduisent, aggravés presque toujours, le totalitarisme et la corruption des
métropoles, car ils sont engendrés par un type social en sénescence. On peut
donc, et l’on doit, parler d’un État mondial, mais de contenu inverse à celui
que lui attribue H. Lefèbvre. Brouillon comme un théologien et la tête toujours
pleine de faux-fuyants comme tout stalinien contrit, Lefebvre trouve dans l’État
mondial de nos jours, une tendance « au mode d’existence métaphysique »
et il signale dans l’œuvre de Staline, c’est à dire dans l’État russe, « une
révolution faite d’en haut » (dans L’État dans le monde moderne Ed.10-18
Paris 1976).
L’œuvre
de Staline a une grande importance, oui, très grande même, mais en tant qu’œuvre
contre-révolutionnaire dans tous ses aspects. Sans elle, il est impossible d’imaginer
comment le système mondial aurait réussi à faire face, et même mettre en déroute,
à l’offensive révolutionnaire du prolétariat entre les deux guerres impérialistes,
déclencher la seconde et rendre inertes ses exploités pendant presque un demi-siècle
! L’enchaînement des faits qui vont de la contre-révolution stalinienne en Russie
à la défaite de la révolution internationale, et de celle-ci à la guerre de
1939-1945, et ainsi jusqu’à l’inactivité si prolongée de la classe ouvrière,
explique exhaustivement la malodorante situation actuelle, croissance industrielle
tératologique et totalitarisation de l’État comprises.
L’interprétation
théorique de l’État ne peut pas se faire en l’isolant comme entité, mais en
l’envisageant dans son devenir historique qui à son tour, représente l’entité.
Autrement on tombe dans la divagation idéaliste, ou bien, cas le plus fréquent
aujourd’hui, dans une méprisable disculpation d’anciennes attitudes personnelles
au cours du déroulement historique ; c’est utiliser la théorisation pour le
service privé de l’écrivain. Or l’œuvre de l’État russe n’est pas celle de Staline
tout seul, mais celle de tout l’appareil bureaucratique dans les frontières
russes et à l’extérieur également. Elle représente une adaptation des intérêts
contre-révolutionnaires postérieurs et antérieurs à 1917, du degré de concentration
économique et de résignation du prolétariat, requis à l’échelle mondiale pour
toute croissance capitaliste importante, ainsi que pour maintenir en vie le
système. Par le truchement de la propriété privée, rien d’important ne pouvait
se réaliser. La contre-révolution mit le capitalisme russe à jour avec le capitalisme
le plus concentré d’Occident, le surpassant même, hormis la compétence technique
et administrative. L’énormité rétrograde du stalinisme réside dans le fait que,
depuis la décennie 20 tout au moins, la production de capital, à plus forte
raison sa concentration, allait à l’encontre du développement humain et même
de simples potentialités non-capitalistes de sciences et techniques.
Les
dérivations négatives d’un tel fait n’appartiennent pas toutes au passé ; d’autres,
non moins graves, nous menacent, non seulement dues à la présence de renégats
du stalinisme (tous plus ou moins faux) induits par le « Rapport Khrouchtchev »,
mais aussi à la nouvelle issue réactionnaire offerte par le régime russe au
monde entier.
De
même que la concentration du capitalisme, au temps de la révolution russe, a
transmis une forme économique, accentuée, à la contre-révolution russe, celle-ci
à son tour, inspira le dirigisme occidental et dans son aspect politique, nous
voyons son totalitarisme de Parti-État repris par presque tous les pays dits
nouveaux. Dans ceux démocratiques, anciennement institutionnalisés, mille mesures
et tracasseries dans l’ombre vident sans cesse le contenu de la démocratie bourgeoise,
pauvre en elle-même. Mais la pire des répercussions de l’État stalinien est,
sans conteste, la falsification de l’idée de socialisme elle-même. Partout à
l’heure actuelle, elle est supplantée par la notion d’un État, capitaliste unique.
Voilà le « socialisme premier » que l’archi-réactionnaire Spengler
opposait au capitalisme individuel.
Derrière
l’appât de l’expropriation des monopoles et des bourgeois, ce qui se projette,
c’est le monopole du Parti-État. La relation capitalsalariat, inséparable du
système, devient alors bien plus insupportable et la décadence sociale descendrait
encore des marches qui pourraient être décisives. Et il est indifférent, quant
au fond, que cela advienne avec le parti unique ou par le biais du prétendu
pluralisme, qui n’est avant tout que rengaine publicitaire et manœuvre tactique.
La concentration du capital réclamera toujours un totalitarisme politique proportionnel
à elle-même.
En
résumé, avec la concentration du capital, en Occident par sa circulation et
sa reproduction élargies spontanées, en Orient par ses urgences anti-révolutionnaires,
et dans les ex-colonies par leur enchaînement aux Grands et par mimétisme démagogique,
nous nous trouvons face à un État qui connaît certes, des différences territoriales
(on ne peut dire nationales car dans bien des cas la nation a été imposée ou
est en train de l’être), d’après les antécédents historiques, mais dont la fonction
première, toutes les autres y étant subordonnées, consiste à imposer la reproduction
élargie du capital, c’est à dire un type d’association humaine caduc et entièrement
pernicieux à présent.
L’analyse
de l’État moderne autorise une grande prolixité, qu’on tienne ou non en compte
ce qui précède. Dans cette ébauche, il ne faut plus abonder. Les indications
données suffisent pour dépasser l’analyse et parler de l’anéantissement de l’État.
Devant
cette perspective, depuis toujours celle du mouvement révolutionnaire, les avocats
traditionnels de l’État, comme représentant immortel de la société, représentent
peu de chose en qualité d’obstacle théorique, quel que soit leur savoir, et
moins encore dans la pratique de la lutte de classes. Limitons-nous à citer,
dans l’attente d’une réfutation plus générale, Vivre sans État ?
de Jean William Lapierre (Ed. Esprit-Seuil 1977), où il répond au livre déjà
cité de Pierre Clastres, La société contre l’État. Monsieur l’agrégé
de philosophie écrit : « Où et comment les conditions d’une société sans État
sont-elles réalisables, fût-ce à long terme. Une économie d’abondance et une
société de loisir dans une population stabilisée par la limitation des naissances,
un mode d’organisation et de régulation sociales abolissant tout désir d’innovation
dans tous les groupes sociaux, est-ce bien là un avenir possible pour l’espèce
humaine ? » (p. 360). Et à la page 371 : « ... le dépérissement du pouvoir
politique (...) on ne saurait l’attendre que d’une extinction de la capacité
humaine d’innover, d’un épuisement de l’imagination par le triomphe de l’habitude
ou du réflexe conditionné, d’un coup d’arrêt porté à l’historicité ».
Depuis
l’époque où Spencer fulminait « Tout socialisme comporte l’esclavage »
(All socialism involves slavery), les arguments se sont affinés, mais
à peine, vus de près. Ils sont de même apparentés à ceux de Berdiaef, qui opposait,
à une paralysie de l’histoire due au socialisme, son noble accomplissement par
le retour du Christ, à moins que ce ne soit par « la résurrection de la
chair ». Les variations sur le même thème surgissent comme un réflexe du
cerveau de nombreux érudits de tous les pays. Leur bonheur consiste en ce que
les pays dits socialistes leur donnent très largement raison. Même les néo-fascistes
peuvent y puiser matière leur permettant de paraphraser l’idiotie de Hitler
dans Mein Kampf « Le marxisme, c’est la magie noire ». Parmi
ces érudits, même les plus respectueux du sérieux scientifique sont incapables
de déclarer sans ambages que les dits pays sont au socialisme ce qu’un défoliant
est à la végétation. Violence répressive, étouffement de toute liberté, mensonge
systématique et tout à fait prémédité ne disparaîtront là-bas qu’avec le démantèlement
préalable de l’État, et leur État ne peut être analysé que comme un cas particulier
des États Occidentaux.
A
la question de Lapierre sur où et comment d’une société sans État, on reviendra
à la fin de ces coups d’éclairs. En attendant, qu’on observe comment le professeur
suit les traces de Lévy-Strauss dans Race et Histoire, où il considère
que l’actuelle mosaïque bigarrée du genre humain et de la société capitaliste
favorise le désir d’innover et donc le progrès dans l’histoire. A l’instar de
tant d’autres dont leurs loisirs leur ont permis de devenir ce qu’ils sont,
ils passent outre un fait écrasant par son extension géographique non moins
que par la grave privation mentale qu’il entraîne pour des centaines de millions
de personnes, même dans les pays les plus cultivés : l’interdiction d’innover
et tout simplement de savoir, par le décret de leurs conditions d’existence ;
c’est le plus draconien et le plus inviolable de tous les décrets possibles.
Le coup paralysant assené à l’histoire est une constante depuis des millénaires,
car la majeure partie des personnes ont été placées hors d’elles, toujours engendrées
et reproduites comme objets souffre-douleur du devenir. Et ce, non d’une manière
quelconque, mais par et pour la minorité dominante et instruite, qui agit comme
sujet, sujet bâtard donc.
En
témoignent nombre de civilisations désagrégées par décadence ou détruites, s’étant
avérées incapables de donner jour à rien de mieux. L’épuisement de l’imagination
ne se produira jamais, sauf dépérissement physique de l’espèce ou retour à l’animalité.
N’empêche, son étouffement est un phénomène d’intensité variable mais constant
dans les sociétés de classes et État. Et c’est en elles que l’imagination de
nombreux hommes savants voit un danger mortel pour la disparition de l’étouffement.
D’après
Lévy-Strauss et Lapierre entre autres, la dialectique de l’histoire réclame
la diversité de groupes culturels et de groupes sociaux, euphémisme qui désigne
les classes et pays riches et pauvres. En dehors de cela, ils ne voient que
plate médiocrité, des cerveaux sans impulsions ni désirs parce que matériellement
repus. Or, une des tragédies de tout le parcours des hommes consiste précisément
en ce que la culture a eu depuis toujours, comme organes de connaissance et
d’expression, des gens rassasiés, sans grandes préoccupations matérielles ou
entièrement libres d’elles, grâce au travail des autres. Rendre tous les hommes
exempts de cet abrutissant fardeau ne peut pas entraîner leur dépersonnalisation,
puisqu’ils sont dépersonnalisés à des degrés différents et depuis toujours.
Par contre on n’aperçoit pas d’autre moyen pour que tout un chacun découvre
ses capacités optimales.
Le
jeu dialectique entre le monde extérieur (le cosmos) et l’homme est entravé
en permanence par la lutte à mort entre les hommes. Aussi longtemps qu’il n’aura
pas lieu de manière directe, sans ce dégradant impôt de sang, ignorance, exploitation,
répression, les facultés essentielles de l’immense majorité resteront hermétiquement
enfermées dans le subconscient.
Cela établi, la pire catégorie d’ennemis de la disparition
de l’État est celle qui, tout en l’admettant en paroles, renvoie sa réalisation
à un avenir mythique, tout en faisant de l’État, pendant une durée indéfinie,
le propriétaire maître et seigneur de tout, et l’organisateur du communisme.
Elle est bien plus dangereuse que l’autre catégorie, non point par son savoir,
qui est indigent, mais par ses agissements d’hypocrisie préméditée, et avant
tout par les positions organisatives quelle détient au cœur même du capitalisme,
dont elle est partie constituante. Signalons les syndicats des partis « communistes »
et « socialistes » riches et officialisés, en plus des pays peuplés
de près de deux milliards d’habitants où sévit le despotisme étatique de partis
policiers. Leur publicité est comparable, par le volume et le rabâchage, à la
publicité des monopoles multinationaux les plus forts. La monstruosité d’une
telle supercherie n’a été dépassée par aucune autre antérieure.
Si
l’État capitaliste est la condensation de toute la violence étatique et para-étatique
depuis la proto‑histoire, l’État dans les pays en question rassemble,
agrandis, les bestialités, coups tordus et crimes caractéristiques de l’État
bourgeois depuis sa naissance. Sa fusion avec le système économique structurel
est indubitable et plus complète que dans aucun autre pays. Il n’y a chez eux
aucun interstice entre la production et l’État, si ce n’est par fraude... Celui-ci
apparaît sans détours, sans voile et directement tout à la fois comme produit
et organe opérateur du système économique. La relation cyclique mondiale : capital
- salariat - capital accru, trouve là-bas, à l’un des extrêmes, l’État, comme
investisseur du capital, à l’autre extrême, le même État, comme empocheur du
capital accru par la plus-value ; au milieu : la classe ouvrière broyée. On
cherchera en vain un schème capitaliste aux contours plus nets et une correspondance
plus achevée entre la structure sociale et la superstructure politique.
Qu’un
pareil État soit apparu après une révolution d’envolée communiste, c’est un
problème qu’on ne peut considérer ici que tangentiellement (note4).
Le dépérissement et la mort de l’État après 1917 ne pouvait se produire sans
passer de la révolution démocratique ou permanente à la révolution socialiste.
La contre-révolution sous une forme non-bourgeoise, non moins, mais plus capitaliste,
survint avant, détruisant du même coup l’objectif communiste et la révolution
démocratique. Pour la première fois le monde eut sous les yeux une contre-révolution
et un accroissement du capital sans classe bourgeoise. Ce fait nous apprend
que si tout système bourgeois est capitaliste, tout capitalisme n’est pas bourgeois
pour autant. Enseignement plein de signification pour comprendre la décadence
du système capitaliste mondialement considéré. Par ailleurs, il permet, si l’on
appréhende avec justesse les mesures et les erreurs des bolchéviques qui facilitèrent
le reflux contre-révolutionnaire, de discerner bien mieux qu’autrefois les conditions
qui amèneront la mort de l’État.
L’État
russe est le premier promoteur de mensonges à l’égard de sa propre nature et
de celle de l’État en général. Dans toutes ses versions, il s’agit de bourdes
indignes d’être prises en considération, si ce n’est parce que, sans cesse propagées
dans toutes les langues, elles se sont infiltrées dans la matière grise de maints
intellectuels, et surtout parce qu’elles servent à opprimer ceux qui vivent
sous cette férule. Au moment de la promulgation de la constitution de Staline
- en réalité de Boukharine - alors qu’on préparait dans les coulisses les grands
procès falsifiés de Moscou, Molotov révéla au monde, comme théorie, que l’État
ne subsistait en Russie que pour la répression des voleurs et autres malfaiteurs,
sans aucune fonction de classe. Presque simultanément, l’extermination physique
ravageait les hommes de 1917 et des millions d’autres, non sans la collaboration
de voleurs et malfaiteurs. Le Kremlin se redéfinit après comme une dictature
du prolétariat, en même temps que mouraient dans les camps de travaux forcés
ou à coups de pistolets dans l’occiput, 20, 30 ou 40 millions de prolétaires
et que des milliers d’intellectuels et techniciens étaient réduits à la condition
de parias. Plus l’État devenait brutal, plus lourd devenait l’esclavage des
prolétaires, plus le Kremlin déployait d’obstination à répandre son mensonge
dans le monde par tous les moyens, concussionnaires aussi bien que publicitaires.
La plus récente de toutes ses supercheries, « l’État de tout le peuple »
(version Brejnev), s’apparente à la définition du hitlérien Schlidt, pour qui
le politique, domaine privilégié de l’État, se résume dans la notion « ennemi,
ami », définie par l’État lui-même.
La
véritable explication se trouve au niveau le plus bas. « Le peuple tout
entier », comme par ailleurs la « coexistence pacifique » (initiative
du plus notoire des flics, Staline en personne), sont des formulespièges adaptées
à la mentalité de technocrates, intellectuels de gauche et bourgeoisie fanée,
à ceux qui sont appelés (par Moscou) à devenir la charpente de futurs États
satellites « du peuple tout entier ». La motivation profonde de telles
vacuités n’est autre que la puissance militaire de la Russie et de son Bloc
militaire.
Le
stalinisme cabochard de l’État chinois n’est qu’un calque de celui de la Russie,
avec des éclaboussures de l’Empire Céleste. Il est pertinent de le rappeler,
surtout parce que sa collaboration-alliance avec les États-Unis et le Japon
offre une preuve incontestable de la réalité d’un État mondial uniforme pour
l’essentiel, d’alliances militaires et de rôles économiques interchangeables.
Le « Tigre de papier » dont Mao-Tsé Dong avait parlé est devenu « griffes
d’acier », sauvegarde de la Chine « socialiste » face à la Russie
« socialiste ».
Pour
ce qui est des staliniens éhontés de l’Europe occidentale ou d’ailleurs, qu’ils
restent ou non dans leurs partis, le pesant fardeau de leur propre passé leur
interdit de rien dire de sérieux sur l’État en général, et sur l’État russe
en particulier. Il faut les observer rapidement. Les italiens, les premiers
des « pluralistes », et aussi
ceux
qui reçoivent le plus de millions et de privilèges de leur capitalisme national,
écrivent dans Il marxismo e lo Stato , que les oeuvres de Marx renferment
« une théorie générale de l’État » qui devrait être développée. D’autres
ont prétendu, non moins gratuitement, qu’elles contiennent en germe la bestialité
stalinienne. L’État est éternel pour ceux qui parlent de la sorte, il peut être
transformé, pas supprimé. Depuis de longues années en vérité, le parti de Togliatti
et de Berlinguer voit dans les entreprises de l’État italien, des foyers de
socialisme, bien dans la ligne de son projet de capitalisme d’État. En France,
Ellenstein allège comme tant d’autres le poids de sa conscience en postulant
un socialisme démocratique tout en proposant de considérer l’État russe « comme
produit par l’histoire », comme qui considère qu’un veau est un produit
de la parturition de la vache. Son collègue et philosophe, Althusser, porte
son effort de penseur jusqu’à voir dans l’œuvre de Staline le résultat « d’une
erreur économiste ». L’argument ne vaut pas plus que le démonologique « culte
de la personnalité ». En Espagne, Carillo et sa suite, troisièmes en mal
(apparent) de rédemption des péchés, braillent d’avantage, mais à l’instar de
tous ceux qui se sont prosternés devant Staline et ses successeurs, ils
se trouvent, de ce fait et du fait de leurs propres œuvres, moralement et intellectuellement
dans l’incapacité de découvrir la vérité et de la proclamer.
Sans
considérer l’État russe et l’œuvre de Staline comme le moteur et le résultat
d’une contre-révolution qui sauva aussi le capitalisme occidental, on ne peut
énoncer que des tromperies. C’est pour cela que le stalinisme survit à la mort
de Staline, et qu’il vivra aussi longtemps que son oeuvre. Il est présent même
dans les velléités démocratiques des dissidents. Leurs critiques, comme hier
la dénonciation de Khrouchtchev, ne dépassent pas les bornes d’une critique
stalinienne du stalinisme. En acceptant comme sincères les paroles des « pluralistes »,
leur souhait serait un capitalisme d’État façon Moscou, rendu décent avec la
feuille de vigne occidentale.
Un
livre de Nicos Poulantzas, L’État, le pouvoir, le socialisme (Ed.
PUF 1978), permet de voir à l’insu de l’auteur, la néfaste influence du stalinisme,
et même d’en avoir la filiation formelle. Poulantzas ose parler de disparition
de l’État, mais dans un avenir si éloigné, qu’il la supprime en tant que projet
concret, d’actualité immédiate post-révolutionnaire. En réalité, il supprime
aussi la révolution, mettant à sa place « la voie démocratique vers le
socialisme ». Et ce qu’il entend par socialisme n’est autre que la propriété
d’État flanquée de l’autogestion. Il s’agit pour lui de modifier peu à peu l’État
actuel et pas du tout de le démanteler, grâce à des foyers d’autogestion et
à d’autres positions que la classe ouvrière occuperait. Il se situe à droite
du réformisme austro-marxiste du premier après-guerre, et son argumentation
théorique est bien inférieure.
Les
courants et auteurs nommés, et d’autres qui seront signalés dans un ouvrage
postérieur sur ce thème, parlent en l’air, souvent avec un ton académique peu
engageant. Ils exhibent une bibliographie copieuse, mais ils sont toujours en
marge de l’expérience pratique, c’est à dire, des hauts et des bas, des victoires
partielles et des déroutes du prolétariat mondial ; comme si elles n’avaient
pas existé. Même de l’expérience russe, ils ne tirent que des conclusions négatives,
rassurantes pour le capital, anesthésiantes pour la classe ouvrière. Or depuis
1914, première guerre mondiale, cette expérience est très riche et permet de
dégager des éléments importants en vue de la disparition post-révolutionnaire
de l’État.
La
nécessité de démanteler l’État capitaliste, le plus clair des enseignements
de La Commune, est allée s’accentuant en proportion au gigantisme militaro-policier
du même État, et à la concentration du capital. L’expérience de la révolution
russe, et vingt ans après celle de la révolution en Espagne, permettent un important
progrès à la théorie : l’organisme de force ou État résultant de la révolution
prolétarienne ne peut pas devenir propriétaire de l’économie sans vite tourner
à la contre-révolution. Celle-ci rencontra en Russie la facilité de la propriété
accaparée par l’État et de l’exténuation de la classe ouvrière. Ce ne fut pas
le cas en Espagne, mais les organismes coercitifs de l’ancien État, subrepticement
reconstitués (par le parti de Moscou et avec les armes de Moscou, soit dit en
passant) réussirent à désarmer le prolétariat, à l’exproprier, acte réalisé
par le truchement de la nationalisation. Et grâce aussi à des circonstances
politiques dont l’exposé n’a pas sa place ici (note5).
La propriété d’État entraîna également la contre-révolution dans la zone rouge,
et sa répercussion dernière fut la victoire de Franco. Les deux expériences
sont irrécusables.
A
l’origine, l’État était la conséquence du saccage de l’exploitation systématique,
non point son créateur ; la disparition de celle-ci ne sera pas d’avantage
son œuvre, mais procède en droite ligne de cette disparition. Postuler un État
organisateur du socialisme, quelque fondement social qu’on lui attribue, c’est
une intention non plus négative ou opportuniste, mais, au regard de l’expérience,
réactionnaire de fond en comble. C’est d’autant plus évident que la capacité
de production réalisée à ce jour, et la capacité potentielle de la science moderne,
permettent d’aboutir en peu de temps à la disparition des classes quant à leur
fondement économique. Il suffira de bousculer l’embarras paralysateur et corrupteur
qu’est l’exploitation. Ce « bousculer » embrasse, il va de soi, au-delà
de la bourgeoisie, des monopoles, l’État actuel, tous les organismes para-étatiques,
lois, etc. qui veillent sur l’exploitation, la règlent ou l’épaulent à l’aide
du consensus, de la négociation et autres arrangements, tacites ou non, plus
ou moins rétro-historiques. Les démanteler, tel est l’aspect négatif de la révolution
- négatif de ce qui était avant - condition préalable pour que l’aspect positif
s’élance en avant. De même que la violence et le saccage entre les primitifs
s’institutionnalisa à la fin en État, les conséquences ultimes d’une telle violence,
le monstrueux État moderne et le saccage réglé par le rapport social capital-salariat,
réclament aussi de la violence pour en finir avec. Telle est la tâche de
la dictature du prolétariat, synonyme exact de révolution communiste. Le pénible
terrain bourbeux parcouru depuis la sauvage extranéité multiréciproque jusqu’à
celle de la lutte de classes, du nationalisme, de l’impérialisme et des armements
atomiques, débouchera par le dit chemin révolutionnaire, sur une humanité sans
avidités opposées ni conflits, une humanité libre.
A
moins de se leurrer par des préjugés terminologiques, ou de tomber dans le piège
du « chemin démocratique », force est de reconnaître que la révolution
sociale doit être imposée comme une rébellion victorieuse quelconque. L’humanité
n’a connu que des régimes dictatoriaux à des degrés différents. Les communautés
primitives elles-mêmes devaient payer tribut aux despotismes, qui les toléraient
sous cette condition. La démocratie bourgeoise a été la moins brutale de toutes
les dictatures, quoique son fondement soit l’absolutisme du capital sur le travail.
A l’inverse de toute autre, l’imposition révolutionnaire met fin au joug millénaire
pour fonder une liberté à la mesure de tous les hommes, et non pas de minorités
manipulatrices.
Dans
La société contre l’État, Clastres se trompe de chemin lorsqu’il
croit percevoir chez certains groupes primitifs un rejet de l’État, comme s’ils
avaient la prémonition de son caractère oppressif. Ainsi son argumentation est
facilement annulée par Lapierre, dans Vivre sans État? . Il signale
que les sociétés primitives sans État sont de dimension réduite et restent immobiles
depuis toujours. Tout de même, l’argumentation de Lapierre est incomplète et
par ailleurs adaptée à son refus de croire que l’État puisse être supprimé dans
des sociétés hautement développées.
Clastres
ne prête aucune attention à l’importance économique et oppressive des raids
de rapine entre les primitifs. Cela l’empêche d’élucider le pourquoi de l’apparition
de l’État et il n’entrevoit même pas le comment de sa disparition future. Le
titre de son ouvrage est trompeur, car il fait référence aux primitifs et pas
à la société contemporaine. De son côté, Lapierre n’attache à l’inexistence
de l’État chez certaines ethnies, d’autre importance que celle de cause et démonstration
de leur propre primitivisme. L’idée de disparition de l’État moderne lui semble
une idée de rêveurs. Mais les arguments qu’il présente transforment le songe
en cauchemar. Il convient de le citer encore afin de répondre à sa question
sur les conditions de disparition, qui ne sont pas celles qu’il réfute chez
Clastres, mais celles que nous avons tous les jours sous les yeux. Voici ses
mots « Le dépérissement de toute forme de pouvoir politique spécialisé,
l’avènement de nouvelles « sociétés sans État », ne sauraient être
attendus que d’un imprévisible coup d’arrêt de l’histoire et d’une sorte d’évolution
régressive de l’espèce humaine vers son atomisation en petites sociétés closes
et homéostatiques. » Tout en nous assurant que dans un tel cas, l’inventivité
de l’homme mourrait, il conclue que toute « conduite déviante aura été
définitivement inhibée par l’empreinte de bonnes habitudes. Le conformisme social
ne pourra plus être ébranlé » (pages 365 à 371).
Tout
d’abord, de là découle que les sociétés avec État, la nôtre très particulièrement,
ne connaissent pas de régressions, ou seulement de courte durée et de peu de
gravité ; que l’intelligence humaine trouve en elles un terrain fertile ;
que sous l’autorité de l’État, l’homme est, ou tend à être non-conformiste,
et « last but not least », que le coup anti-civilisateur dans l’histoire,
résulterait de la disparition de tout corps politique spécialisé.
On
croirait que Lapierre n’a pas entendu parler des innombrables régressions imposées
à l’histoire depuis qu’histoire il y a, entre autres de la décadence de la civilisation
gréco-romaine, qui s’étale jusqu’au XIIème ou XIIIème siècle. Toutes ont été
introduites par un renforcement de l’État - non par sa disparition - c’est à
dire par le corps politique spécialisé. Dans l’actualité aussi, quiconque peut
observer des signes de décadence, tous favorisés, lorsqu’ils ne sont pas créés,
par l’État. On peut en dire autant du conformisme. Qui donc en a besoin, plus
que ce corps superlativement spécialisé? Que l’on regarde où et quoi que ce
soit, l’État favorise, organise le conformisme par de multiples moyens : coercitifs,
publicitaires, culturels, vénaux. Si bien que dans nombre de cas, les innovateurs
lui rendent personnellement hommage. Mais toute innovation dépassant les limites
matérielles du système est rejetée, sans égards aux moyens employés. En outre,
des centaines ou des milliers de silos menacent de mort l’humanité jour et nuit,
à chaque minute. Et ceux qui savent, au lieu d’ameuter le public pour l’empêcher,
s’adonnent sans inquiétude à leurs études « innovatrices ». Les physiciens,
les mathématiciens, les ingénieurs, etc. qui inventent et fabriquent les armements
atomiques et autres, ne sont-ils pas, eux aussi, de nauséabonds innovateurs,
conformistes et vénaux ?
Toutefois
le comble est qu’on nous parle d’un danger de dégénérescence mentale, sinon
physique de l’homme, comme conséquence de la disparition de l’État, cet organisme
qui freine le devenir depuis des décennies, au prix d’hécatombes, par
des guerres et des répressions. A Lapierre qui demande quand et comment seront
réunies les conditions dont on parle, il faut répondre.
1 - La toute-puissance illimitée, monstrueuse, de l’État lui-même, est telle qu’il peut se permettre ce que bon lui semble (avec et sans « raison d’État », cette impunité garantie du crime), paré de ses lois ou malgré elles. Sauf s’il est démantelé, il perfectionnera le processus despotique et finira par déclencher l’extermination depuis les silos et sous-marins. Cette situation est à tel point indéniable, que tout individu ou organisation se trouve aujourd’hui devant l’obligation politique et morale d’appeler à la destruction de l’État. C’est celuici qui serait mis en évidence, comme accusé, criminel devant n’importe quel tribunal, sans parler du bien inconnu « tribunal de l’Histoire ». Il est pertinent de rappeler à cet endroit, la boutade attribuée à Einstein, en dépit de sa responsabilité dans la fabrication de la bombe atomique : « Si la prochaine guerre est atomique, la suivante se ferait avec des arcs et des flèches ».
2 - La production de biens de consommation, alimentaires, ou d’un usage quelconque dans la vie, d’outillage industriel, etc., n’atteint qu’un volume et qu’une perfection exiguës, en raison de leur forme mercantile, de l’achat et de la vente imposés par les bénéfices du capital et de son État. Ces mêmes bénéfices réclament des arsenaux (plus de quatre cent mille millions de dollars par an, au moment où ces lignes sont écrites - 1978), des produits d’une mauvaise qualité préméditée, de la corruption, de la pollution et de multiples nuisances. L’indigence extrême, la maigreur squelettique et la mort par le fléau de la famine, sont le sort de 1000 millions de personnes, ce qui ne pourrait pas arriver dans le cas d’une production pour la consommation, sans vente. Et on ne sortira pas d’une telle situation aussi longtemps que la demande de produit aura pour mesure la capacité d’achat. Même sil y avait une amélioration, les dénivelés seraient encore énormes et non moins nuisibles.
3 - Les millions d’hommes des pays industrialisés qui travaillent à la production sont toujours exposés au chômage, au travail soumis à un cycle épuisant. Ils manquent de métier, et de la possibilité d’acquérir des connaissances, par leur peu de temps libre, non moins que par imposition économique (salaire)... et par bon vouloir gouvernemental. Ils peinent pendant huit ou dix heures à l’usine, tandis que la science, dont l’application entière et scientifique est interdite par les bénéfices du capital, est en mesure de réduire à très peu le temps de travail socialement nécessaire, avec un rendement quantitatif et qualitatif très supérieur.
4 - La millénaire séparation des hommes en cultivés et incultes, travailleurs manuels et intellectuels, est devenue en ce moment du siècle une absurdité aussi flagrante que le voyage vers la Chine, de caravansérail en caravansérail. Le savoir intellectuel peut être le fait de tous par la suppression du capital et de l’État, sans autres limites que les aspirations individuelles, tandis que le savoir-faire manuel pourrait récupérer, sans que personne se voit condamné à le subir, ses capacités perdues. Le temps pour organiser tout cela ne compte pas comme empêchement. Le fait est que culture, science, recherches, sont en train de se prostituer au service direct ou indirect de l’État, qu’elles dégradent leur propre condition et celle de la société en général. Elles sont facteurs objectifs de décadence, alors que leurs potentialités sont facteurs objectifs de progrès. C’est ce que, édulcorant la vérité, on appelle actuellement « malaise social ». Dès lors l’aliénation commence à prendre l’aspect d’un assoupissement intellectuel et d’une perversion dans les cercles dirigeants, des hommes d’État jusqu’aux leaders syndicaux.
On
pourrait arguer, certes, que depuis 1936-37 le prolétariat ne donne guère signe
de vouloir se révolter contre sa condition en s’élançant contre l’État et le
capitalisme. Il ne le donnera pas tant qu’il reste prisonnier des organisations
politiques et syndicales qui, au nom du socialisme, du marxisme ou de la simple
amélioration du système, lui vident le crane et resserrent sa chaîne salariale.
N’empêche que la nécessité plane près de nos têtes et n’arrête pas de devenir
plus évidente. Un brusque sursaut de rébellion pourrait introduire à tout moment
une nouvelle période révolutionnaire. La probabilité en augmentera, non pas
avec le chômage, ni avec une crise de surproduction, si grave soit-elle, mais
au fur et à mesure que passe dans le domaine de tout le monde l’horripilante
vérité sur la Russie et ses imitateurs, et donc la fausseté constante de ses
partis à l’extérieur.
Empêcher
la réapparition d’un pouvoir bureaucratique après une future révolution est
une préoccupation fréquente à l’heure actuelle, non sans raison. Or les mesures
recommandées (conseils ouvriers sans partis politiques, démocratie des partis
ouvriers au sein des conseils, révocation à volonté des délégués et des comités)
n’ont avec l’intention qu’une relation secondaire ou inexistante. Préoccupations
et mesures de forme ne suffiront jamais à empêcher un retour en arrière, qui
ne pourrait être que bureaucratique et capitaliste d’État. Il faudra que dans
le fonctionnement même du système social naissant, quelque chose barre la route
à toute contre-révolution. Ce quelque chose ne peut être que la rupture radicale
de l’ancienne relation sociale capital-salariat, qui engendre la plus-value,
c’est à dire l’exploitation, fondement du système actuel, donc de l’État. Le
montant colossal de ce qui constitue la plus-value, une fois confié à un organisme
post-révolutionnaire, quelqu’il soit, deviendrait le foyer, l’aliment de la
contre-révolution. Il n’est pas question, non plus, d’abandonner son administration
aux travailleurs, par unités ou par branches de production, ce qui serait la
meilleure version autogestionnaire. Elle introduirait une rivalité funeste entre
groupes qui amènerait l’exploitation par les plus puissants.
Le
bureaucratisme et d’autres maux enfoncés dans les mentalités et dans la réalité
actuelles, ne pourront être entièrement évités dans aucun cas. Mais on peut
certainement empêcher qu’elles se répercutent en domination et exploitation
des uns par les autres, en attendant que se généralise la nouvelle mentalité
dégagée du communisme. La clef n’est autre que le rapport susdit entre l’homme
et la nature, entre instruments de travail et travail, entre production et consommation.
La suppression de la loi de la valeur y est implicite. A moins d’implanter cette
relation sociale nouvelle, déjà communiste, la contre-révolution trouvera toujours
manière de grimper, quoi qu’on fasse. Et réapparaîtra un État encore plus destructeur
que l’antérieur.
Le
produit excédant du travail (relativement à un cycle antérieur) devra être assigné
eu égard à la disparition des classes, entre un relèvement de la consommation
immédiate et la création de nouveaux instruments de travail et de culture, à
l’échelle nationale, en attendant l’intégration dans le continent et dans le
monde. La disparition du prolétariat est l’unique démonstration probante de
la disparition des classes et de la coercition sociale.
Depuis
la horde et les tribus très primitives à l’affût d’autres hordes et tribus,
jusqu’aux États ultra-centralisés actuels, à l’affût de bénéfices partout dans
le monde, et donc auprès de leurs co-nationaux, les ruptures de continuités
survenues, aussi bien dans les méthodes de saccage que dans celles de l’oppression
politique, n’ont été rupture que relativement à ce qui existait avant. Mais
par rapport à l’homme en tant qu’espèce exempte de particularités de tribu,
nation, race, il y a ininterruption, ou par concordance avec les connaissances
physiques, il y a un continu-discontinu. Mais celui-ci est lui-même de nature
opposée au continu-discontinu que représentera la rupture définitive d’avec
la succession de systèmes de domination. Avec lui le discontinu rompt également
avec le continu antérieur ; il inaugure un complexe humain supérieur, opposition
directe et complément du Cosmos.
La Ciotat, août 1978.
G. Munis.
(1) Je ne veux pas donner dans
le préjugé terminologique des spécialistes actuels, qui
s'abstiennent de parler des peuples primitifs ou bien qui collent des guillemets
au mot pour ne pas offenser les désignés. Entre l'anthropophage
et le communiant d'une quelconque religion, il y a certes communauté
essentielle, mais que chacun choisisse, à moins de mettre anthropophage
entre guillemets.
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(2) Dicton cité par Cummins, dans The Bahr-el-Ghazal Dinks, Journal of Anthropological Institute (U.K.) XXXIV.p.155. Retour au texte
(3) Titre du dernier chapitre du livre de Clastres. Il y sera fait mention dans un livre dont ces pages ne sont que l'ébauche. Retour au texte
(4) Ceci est exposé dans
Parti-État, stalinisme, révolution, Éditions Spartacus, Paris
1975. Téléchargeable sur ce site à la page : Publications
du FOR.
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(5) Ceci est exposé dans Jalones de derrota, promesa de victoria (teoria y critica de la revolución española), Ed. ZYX. Madrid 1977. Retour au texte
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