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VIELLES NATIONS, NOUVELLES LUTTES, VIELLES RENGAINES |
Quelle est la signification des luttes de libération nationale,
lorsque aujourd’hui, elles se développent vigoureusement contre la Russie
? On sait que depuis la deuxième guerre mondiale, l’Afrique et l’Asie ont
vu apparaître de nombreuses nations, libérées du joug colonial, et dont une
bonne partie est allée rejoindre la banlieue de Moscou. Ce phénomène, baptisé
décolonisation, a été longtemps considéré comme progressiste par différents
courants se réclamant du mouvement ouvrier et de Lénine.
Celui ci s’est sans doute retourné plusieurs fois dans ses
bandelettes, tant sa position sur la question a été galvaudée, déformée et
momifiée. En effet, Lénine et les bolchéviques, à la suite de Marx, affirmaient
que les révolutionnaires devaient soutenir les luttes de libération nationale
des nations opprimées par les nations impérialistes ou colonialistes, s’allier
organisationnellement aux prolétaires de ces pays pour faire pièce aux manœuvres
des bourgeoisies locales et enfin s’allier aux bourgeois radicaux des pays
les plus arriérés.
Or déjà à l’époque, d’autres révolutionnaires, avec en tête
Rosa Luxembourg, s’opposaient vertement à ce qu’ils considéraient comme un
abandon du centralisme et de l’objectif révolutionnaire immédiat, mis à jour
dans la période où il polémiquaient (1916-19). Selon elle, il ne s’agissait
rien moins que d’abandonner les prolétaires des nations opprimées aux mains
de leurs bourgeoisies respectives :
« ...ce fameux droit des peuples à disposer d’eux-mêmes
n’est qu’une phrase creuse, une foutaise petite-bourgeoise.
Que signifie ce droit en effet ? C’est un principe élémentaire
de la politique socialiste, qu’elle combat, comme toute sorte d’oppression,
celle d’une nation par une autre. Si malgré tout, des hommes politiques aussi
réfléchis que Lénine, Trotsky et leurs amis, qui n’ont que haussements d’épaules
ironiques pour des mots d’ordres utopiques tels que « désarmement »,
« société des nations » etc.
ont fait cette fois leur cheval de bataille d’une phrase creuse du même genre,
cela est dû, nous semble t- il, à une sorte de politique d’opportunité. »
« Malheureusement (...), le
calcul s’est révélé entièrement faux : tandis que Lénine et ses amis espéraient
manifestement que, parce qu’ils avaient été les défenseurs de la liberté nationale,
et cela jusqu’à la séparation complète, la Finlande, l’Ukraine, la Pologne,
la Lituanie, les pays baltes, le Caucase, etc., deviendraient autant d’alliés
fidèles de la Révolution russe, nous avons précisément assisté au spectacle
inverse : l’une après l’autre, toutes ces « nations » utilisèrent
la liberté qu’on venait de leur octroyer pour s’allier à l’impérialisme allemand
contre la République russe. »
Rosa Luxembourg, La révolution russe (Ed. Spartacus.
p.17 et 18).
Néanmoins, l’ardeur de la polémique, attisée par l’urgence
de la situation, n’empêcha jamais ces révolutionnaires d’admirer Lénine et
Trotsky, tant pour leurs qualités intrinsèques que pour la hauteur de vue
qui les animait, y compris sur la question nationale. C’est qu’essentiellement,
Lénine et Trotsky oeuvraient pour
donner au prolétariat le rôle dirigeant dans toutes les luttes. L’erreur était
de mener ce travail dans le combat national, où la classe ouvrière avait tout
à perdre et rien à gagner.
Les bolchéviques (et d’autres avec eux, sur ce terrain) ne
s’appuyaient pas seulement sur la situation de l’Empire russe. Ils avaient
aussi en tête l’action de Marx et d’Engels dans la Première Internationale,
en faveur de l’indépendance de la Pologne et de l’Irlande. Ces luttes constituèrent
en Europe une excellente mobilisation des prolétaires contre leur propre
bourgeoisie, élargissant l’horizon des organisations ouvrières encore enfermées
dans les cadres nationaux. Elles insufflèrent à Lénine sa magnifique proclamation
du défaitisme révolutionnaire et de l’internationalisme prolétarien, sans
laquelle la révolution d’Octobre n’est pas compréhensible.
Le fond internationaliste des bolchéviques estompa partiellement
le caractère erroné de leur position sur « l’autodétermination des nations »,
jusqu’aux premières difficultés de la révolution, où elle constitua un facteur
nettement négatif, durement ressenti par les révolutionnaires européens. Le
reflux révolutionnaire en Allemagne et la transformation contre-révolutionnaire
en Russie ne permirent pas de résoudre un débat pourtant tranché dans les
faits. Aussi parmi les tendances qui s’opposèrent à la dégénérescence puis
à la contrerévolution (sans la percevoir explicitement comme telle) staliniennes,
celles qui furent les mieux structurées n’eurent pas la capacité de remettre
en cause cette erreur.
L’Opposition de Gauche italienne, regroupée derrière Bordiga,
se fit exclure de la IIIème Internationale (en fait déjà transformée en Komintern).
Sur la question nationale, elle systématisa l’erreur de Lénine, sans pouvoir
assimiler tout ce qui avait pu changer pour le prolétariat avec la contre-révolution
à partir de la Russie, et sur ce quoi nous reviendrons plus loin. Durant la
guerre de 39-45, les différentes fractions de ce courant ne surent défendre
le défaitisme révolutionnaire qu’à partir de 1942. Dans l’après-guerre, elles
se regroupèrent en un Parti qui se scinda bientôt en deux, entre autre à cause
de divergences sur la question des luttes de libération nationale. Seul le
PCI-Programme Communiste (note1)
continua de véhiculer l’ancienne position de Bordiga. Conséquemment, il défendit
la libération nationale de l’Algérie et se rangea derrière le FLN, identifié
comme parti de la « bourgeoisie radicale » d’un pays arriéré. Cette
organisation révolutionnaire, refusant de considérer l’absorption des luttes
de libération nationale dans les luttes inter-impérialistes, se retrouva à
la remorque d’une clique téléguidée par Moscou et Le Caire.
L’autre Opposition de Gauche à la IIIème Internationale, plus
importante par son nombre et son audience, fut bien sûr celle regroupée derrière
Trotsky. Sa position sur la question nationale fut tout d’abord celle de Lénine...
et de Trotsky, inchangée jusqu’à la formation de la IVème Internationale en
1938. En 1939, lorsque la deuxième guerre mondiale éclata, la IVème Internationale
publia aussitôt un manifeste défaitiste révolutionnaire, inspiré directement
de celui de Lénine, un quart de siècle auparavant. Mais derrière cette excellente
déclaration de principe, on ne trouva réellement que quelques groupes authentiquement
communistes (en France, au Mexique, en Grèce,...) qui surent défendre becs
et ongles l’internationalisme prolétarien. Constituée de bric et de broc (bric
du SWP américain, broc de « la Vérité » en France, par exemple),
la IVème Internationale bascula rapidement dans la « Résistance »
nationale, où elle s’inféoda mortellement au stalinisme. Elle ne pouvait plus
être une force révolutionnaire.
Notre tendance, illustrée à ce moment là par des militants
trotskystes espagnols, réfugiés au Mexique et en France, maintint fermement
le cap internationaliste et rompit avec la IVème Internationale en 1948, lors
de son premier congrès, sur la question des résistances nationales et de la
nature de l’URSS. Désormais, la IVème Internationale et ses filiations ne
furent plus qu’à la traîne du stalinisme et soutinrent toutes ses perfidies,
en particulier les prétendues luttes de libération nationale, en réalité simples
conflits inter-impérialistes où ils se rangèrent dans le camp russe (note2).
De LO à la Ligue en passant par toutes les tendances, ils soutinrent tous
le bourreau Ho-CHi-Minh, massacreur des prolétaires vietnamiens... et des
trotskystes en particulier. Libérer le Vietnam de la présence américaine signifiait
simplement l’emprisonner dans les griffes russes, sans aucune considération
quant à l’existence du prolétariat et à la nécessité d’une politique qui lui
soit propre, au Vietnam comme ailleurs.
Car c’est bien là que se trouve le changement par rapport aux
conditions qui prévalurent jusqu’à la première guerre mondiale. Auparavant,
les luttes de libération nationale n’étaient pas pour autant des combats de
la classe ouvrière. Mais elles pouvaient bénéficier au prolétariat dans la
mesure où elles s’intégraient au développement social engendré par le capitalisme,
bousculant les vieilles entraves des systèmes sociaux antérieurs, favorisant
l’expansion de la classe ouvrière, et entraînant le projet communiste à embrasser
une réalité toujours plus vaste.
A l’ampleur du développement social capitaliste, répond l’ampleur
de la capacité prolétarienne à imposer le communisme et à impulser par là-même
un nouveau mode de développement social. Or les bornes de ce développement
capitaliste ont été mises en évidence par la possibilité et la réalité d’une
première guerre mondiale, indiquant l’accomplissement de la domination du
capital sur la planète. Cette domination complète signifie que même si l’on
rencontre des survivances de modes d’exploitation antérieurs, elles sont reliées,
intégrées, absorbées totalement par les circuits mondiaux de l’exploitation
capitaliste. Dès lors, plus aucun développement social d’ensemble n’est possible
sous l’égide du capital, le système capitaliste est caduc, décadent ; croissance
et développement, jusque là concomitants, se découplent et s’opposent même.
A ce stade de développement, correspond la capacité du prolétariat à affirmer
d’emblée pour le monde entier, le projet révolutionnaire communiste. Cette
capacité signifie que même si l’on rencontre des exploités d’un autre type
que les prolétaires, ils ne peuvent plus avoir la moindre indépendance relativement
aux objectifs prolétariens. En effet ils sont reliés et soumis au même mode
général d’exploitation et d’oppression ; on doit les considérer comme
une partie du prolétariat mondial. Les combats ne concernant pas directement
et uniquement la classe ouvrière, non seulement ne lui servent pas,
mais lui sont désormais irréductiblement opposés.
A cette impossibilité de développement social par le capitalisme,
a correspondu l’offensive mondiale du prolétariat. L’embrasement communiste,
entre 1917 et 1937, fut et reste la seule possibilité offerte à l’humanité
pour un redémarrage de son développement, libéré cette fois ci du carcan étouffant
de la loi de la valeur, du salariat et de l’État. L’échec de la tentative
communiste s’est d’abord manifesté en Russie, alors que l’impulsion de la
lutte mondiale du prolétariat y avait été donnée. L’ignominie de la contre-révolution
entamée en Russie, provient non seulement de sa bestialité sanglante (bien
connue aujourd’hui de tous), mais surtout de l’escroquerie sur laquelle elle
repose. A savoir que par le mensonge, la terreur et la vénalité, la contre-révolution
stalinienne a répandu la confusion hallucinante du communisme et du capitalisme
d’État.
La Russie stalinienne, produit et agent de la contre-révolution,
a peu à peu constitué un bloc militaro-économique en procédant par des guerres
de rapine et des alliances successives avec toutes les grandes puissances
impérialistes. Elle a englouti les Etats baltes et un bout de Pologne en s’alliant
avec Hitler ; les USA (note3)
lui ont « laissé » huit pays en Europe et quatre en Asie, pour s’être
laissé attaquer par son allié nazi de la veille. Invariablement, Staline et
ses sbires occidentaux entonnaient l’incantation magique du « droit à
l’autodétermination des peuples » en dansant autour de la momie
de Lénine. Poursuivant avec résolution et bénédiction patriarcale, la politique
des Tsars, l’État russe a ainsi mené à bien la « libération » ou
la guerre de « libération » d’innombrables peuples, nations, ethnies,
tribus ou copains dans le monde. C’est que de fait, la libération nationale
est devenue une impossibilité avec la décadence. Sauf mauvaise foi ou bêtise
congénitale aggravée, il n’est pas possible de confondre ce que Lénine entendait
par lutte de libération nationale (ce que nous avons résumé au début de l’article),
et l’annexion pure et simple avec mise en coupe réglée des pays, que l’Empire
russe a pratiquée sous la même appellation de 1940 à 1980. La concurrence
et l’affrontement avec l’autre bloc (USA) lui ont ravi une à une toutes les
nations qui étaient politiquement et géographiquement en mesure de le faire,
préférant l’infâme joug américain à la délectable libération russe (Yougoslavie,
Chine, Albanie, Algérie, Egypte, Somalie, etc.). Le ralentissement, puis l’arrêt
des « libérations » s’est fait principalement suite à la désorganisation
d’une économie fragile, entièrement absorbée par l’effort de guerre, seule
ressource réelle d’un empire dont le fondement est l’écrasement de toute lutte
prolétarienne. C’est cette même lutte prolétarienne, à l’intérieur et à l’extérieur
du pays, qui a désorganisé un à un tous les rouages du Parti-État, par la résistance passive, la grève et l’insurrection.
Lentement mais sûrement, les prolétaires ont fermenté la désagrégation du
bloc russe.
La lutte de classe a progressivement engendré des secousses
telluriques d’intensité croissante (note4)
et dont l’épicentre s’est implacablement rapproché du Kremlin. La lente désagrégation
du bloc de l’Est a alors directement touché les pays voisins (voir Alarme
n° 46) et corrode maintenant les liens avec les pays absorbés au début de
la deuxième guerre mondiale (les états baltes) ou même au moment de la formation
de l’URSS, comme la Géorgie, saignée à blanc par le Géorgien Staline,
ou l’Arménie.
Or jusqu’il y a fort peu de temps, il n’y avait aucune
organisation ou lutte nationalistes dans ces nations. Toutes se sont créées
et exprimées dans les défaillances de la répression, dues à l’action ouvrière.
En Lituanie (ancien duché du royaume de Pologne et Lituanie) par exemple,
l’impact des luttes ouvrières en Pologne a été déterminant et explique en
partie l’avance de cette nation dans le processus centrifuge en cours.
On retrouve apparemment une situation nationale antérieure
à la première guerre mondiale. Cependant, et la différence est de taille,
les solutions et les propositions d’autodétermination nationale qui sont présentées
à la classe ouvrière, sont encore plus fragiles qu’à l’époque. Alors même
que cette indépendance est à peine formulée, et que le bloc russe n’a pas
encore éclaté (et de multiples forces centripètes s’y opposent dans le Parti-État, l’Armée
et l’Église), les appétits férocement capitalistes des fractions nationalistes
se font déjà sentir. Elles exposent effrontément leur volonté ouvrière et
leur désir de se jeter dans le giron des empires occidentaux ou autres. Ainsi
les islamistes du sud caucasien lorgnent vers l’Iran ou l’Irak ou... ou celui
qui paiera le plus ! L’impossibilité de libération nationale dans un système
qui ne peut laisser de place à de nouvelles entités nationales indépendantes
depuis plus de 70 ans, mène ces fantômes nationaux à errer de bloc en bloc,
à la recherche d’un point d’ancrage où ils se feront absorber.
En aucun cas le prolétariat ne peut soutenir une telle aspiration
sans perdre toute existence. Il lui faut refuser d’arbitrer entre les tenants
d’une dépendance nationale envers l’Europe et les USA, et les tenants de la
dépendance russe. A l’ordre du jour et en permanence, c’est le noyau subversif
fondamental des communistes qui doit être mis en avant :
Lutter contre sa propre bourgeoisie jusqu’à ce qu’elle perde
la guerre, économique et politique, et transformer la guerre inter-impérialiste
en révolution socialiste.
(1) Adresse : Éditions Programme, 17 rue
René Leynaud, 69001 LYON.
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(2) Sur les épigones trotskistes,
voir notre brochure Analyse d'un vide - 50 ans après le trotskisme,
téléchargeable à la page : Publications
du FOR.
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(3) Les distensions dans le bloc de l'Est
(questions nationale, religieuse, militaire) ne doivent pas faire oublier
par ailleurs, les réajustements de l'hégémonie US en
occident. Néanmoins, on ne rappellera jamais assez que la contradiction
fondamentale n'est pas entre les blocs mais entre les classes.
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(4) 1953 à Berlin, 1956 en Hongrie
et Pologne, 1968 en Tchécoslovaquie, 1970-71-76-80-81 en Pologne, 1987
en Roumanie, les innombrables grèves et soulèvements en Russie,
ect.
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Correspondre : ALARME BP329 75624 PARIS CEDEX 13 - for@alarme-for.org |